18 Février 2021

Pléiades révèle les causes d'une crue dévastatrice au pied de l'Himalaya

Le 7 février 2021, un pan de montagne s'est effondré au nord-est de l'Inde provoquant une crue au bilan dramatique. Le déclenchement de la Charte internationale "Espace et catastrophes majeures" a permis de très vite mobiliser les satellites Pléiades dont les images ont contribué à comprendre l'origine de cet évènement.

Plus de 150 personnes portées disparues, au moins 30 décédées, 5 ponts arrachés, un barrage hydroélectrique pulvérisé et 13 villages isolés par les flots boueux ... C'est le bilan temporaire de la crue survenue le 7 février 2021 sur les contreforts de l'Himalaya, dans l'état indien Uttarakhand. Dès le surlendemain, la Charte internationale "Espace et catastrophes majeures" a permis d'obtenir des acquisitions satellitaires notamment une image monoscopique de Pléiades avec une résolution de 70 cm, puis un couple stéréoscopique 24h plus tard. A partir de ces images et d'un travail collaboratif entre les partenaires de la Charte, les équipes scientifiques françaises ont pu établir la fiche d'identité du glissement de terrain à l'origine de la catastrophe.

Image monoscopique acquise par Pléiades 48h après la catastrophe, le 9 février. Le rendu 3D a été réalisé en drapant cette image sur une carte topographique de 2013, obtenue via le programme Copernicus (GLO-30).
Pléiades © CNES 2021-02-09, Distribution AIRBUS DS ; Product CESBIO-Gascoin/LEGOS-Berthier.

Diffusées le jour même de la crue, les images impressionnantes des eaux déchainées brisant les berges, charriant des rochers de plus de 20 mètres de diamètre et soulevant d'épais nuages de poussières visibles à des kilomètres ont fait le tour des réseaux sociaux et occasionné une première hypothèse : ces eaux proviendraient d'un lac de haute altitude dont la retenue naturelle se serait brisée sous le poids grandissant de la masse d'eau. La chute aurait provoqué 2 km plus bas le débordement d'une rivière coulant au fond d'une vallée escarpée, la Dhauliganga.

Cette thèse a rapidement été écartée par l'observation d'images provenant de l'entreprise américaine Planet Labs, spécialisée dans la fabrication et l'exploitation de mini-satellites. "Ces images nous montraient clairement le panache de poussières dévalant la vallée. Il a suffit de le remonter pour en trouver la source", explique Etienne Berthier, glaciologue au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (Legos). La source se trouve à 5500 mètres d'altitude où le pic Ronti arbore maintenant une large cicatrice dont le noir profond tranche avec la clarté des parois intactes. Il s'agissait donc d'un glissement de terrain.

Une comparaison d’images avant/ après obtenue grâce à la Charte

Cette hypothèse a été corroborée le 9 février par une première image d’un des satellites Pléiades. Sa très haute résolution a permis de mesurer l'entaille dans le rocher, elle s'étend sur 550 mètres de large. Cette image a été fournie dans le cadre de l'activation de la Charte qui avait un double objectif : obtenir des informations satellitaires sur 650 km² autour de la zone sinistrée puis, dès le lendemain, couvrir plus précisément 150 km² avec un couple d’images stéréoscopiques.

"Les images stéréoscopiques sont une porte d'entrée vers la troisième dimension, autrement dit les reliefs, la topographie et les volumes en jeu", traduit le glaciologue. Elle a été acquise grâce à l'agilité de Pléiades qui a la capacité de basculer sur lui-même tout en restant sur son orbite, et ainsi, de prendre une photographie d'un même endroit à la même altitude avec deux angles différents. En combinant ces deux photographies, il est possible de reconstituer une carte topographique.

Animation montrant les deux images du couple stéréoscopique acquis par Pléiades le mercredi 10 février, seulement 72h après l’effondrement rocheux. La distorsion, visible à l'œil nu, a permis de reconstruire le relief avec une précision métrique.
Pléiades © CNES 2021-02-10, Distribution AIRBUS DS ; Product CESBIO-Gascoin/LEGOS-Berthier

Cette carte a été réalisée dès le 10 février, soit 72 h après la catastrophe, un temps record pour produire une carte de ce type à très haute résolution. Elle offre une vision détaillée du relief de l'entaille laissée par le glissement de terrain sur le pic Ronti. Pour estimer la partie manquante, il fallait une carte similaire réalisée avant la fracture de la roche. Ce sont les archives d'un cousin de Pléiades, le satellite américain WorldWiew, qui l'ont fournie. A partir des deux couples d’images stéréoscopiques, celui d'avant et celui d'après le glissement de terrain, Etienne Berthier a calculé la quantité de roches et de glace s'étant détachée : 25 millions de m3, c'est l'équivalent de 10 000 piscines olympiques ou encore, une surface grande comme 40 terrains de rugby et épaisse de 100 mètres.

L'assistance au secours, le suivi et la veille

Outre ce volume, les images stéréoscopiques de Pléiades donnent de précieuses informations pour les secours comme l'emplacement et la dimension des débris abandonnés par la crue, certains atteignant 20 m de diamètre et représentant des dangers; ou encore, la taille des ravins creusés par les flots, certains faisant plusieurs dizaines de mètres et pouvant s'effondrer.

Carte topographique dans laquelle le relief a été reconstitué à partir du couple stéréoscopique Pléiades. L'ombrage met en évidence les hautes altitudes en rouge (6000 m) et les zones plus basses en bleu (2000 m).
Pléiades © CNES 2021-02-10, Distribution AIRBUS DS ; Product CESBIO-Gascoin/LEGOS-Berthier

La zone de fracture est, elle aussi, potentiellement instable : sur quoi reposaient les 100 m de rochers aujourd'hui disparus ? Que va-t-il advenir du rocher au-dessus de la faille ? La communauté scientifique impliquée dans ces recherches continue d'éplucher les images satellitaires pour surveiller l'évolution de la zone et établir une description complète de cet évènement. Etienne Berthier souhaite déterminer la quantité d'eau relâchée avec les 25 millions de m3. En effet, une partie du glacier que supportait le pic Ronti s'est écroulée avec le rocher. On suspecte que la glace aussitôt fondue a participé au désastre. Pour parvenir à ses fins, le chercheur compte s'appuyer sur des archives telles celles des satellites d’Airbus DS Spot 6-7 ou d'autres qui seront obtenues via une demande spécifique au dispositif DINAMIS.

La rapidité et la qualité des résultats obtenus par la mise en commun des données satellitaires ont révélé l'efficacité de l'approche spatiale dans de tels évènements. Dans des zones sinistrées difficiles d'accès, surtout lorsqu'il s'agit de pics abrupts, l'imagerie satellitaire est un atout difficilement détrônable comme en témoignent les images rapportées par les secouristes indiens lors d'un survol en hélicoptère "beaucoup moins nettes et de qualité inférieure à celles de Pléiades", estime le glaciologue.